Dans les cuisines de Patine : un jean stretch sans élasthanne !

Dans notre base de dressing idéale on avait écrit "un bon jean stretch noir". Qui ferait évidemment les jambes interminables, sans effet saucisson, et pas seulement parce que la moitié de l'équipe mange végétarien.
Pour nous ce jean devait forcément être significativement moins impactant que la norme pour l’environnement sinon ce n'est pas Patine... et c'est là que ça se complique. Bien que le stretch se soit imposé ces 10 dernières années dans quasiment 100% du marché du jean, impossible de trouver une toile compatible avec notre cahier des charges... Jusqu'à fin 2019, quand notre partenaire denim en Italie, celui qui tisse déjà la toile de notre Brenda, nous a partagé son expérimentation autour d'un denim stretch sans élasthanne. Une histoire qui commence d'ailleurs un peu plus tôt dans une trattoria familiale où étaient suspendus des saucissons (encore eux).  18 mois d’échanges, de travail sur la coupe, de prototypes et d’essayages plus tard, nous y voilà : on est heureuses de vous raconter l’histoire de Donna, notre 1er jean stretch sans élasthanne.
Bonne lecture !  

#1 Patine, tu insistes sur le “sans élasthanne” mais c’est quoi le problème avec l'élasthanne ? 

First things first, qu’est-ce que l’élasthanne ? C’est une fibre synthétique appréciée pour son élasticité : mélangée à d’autres fibres comme le coton, elle permet de créer des vêtements ultra-confortables dans lesquels on peut bouger librement. Après avoir été largement utilisée dans les vêtements de sport, les culottes gainantes et les costumes de super-héroïnes, l’élasthanne fait une entrée fracassante dans le monde du denim au début des années 80 : c’est la naissance du fameux jean stretch. L’élasthanne mêlé au coton apporte au jean un confort et une élasticité incomparables. Résultat tout le monde en veut et nous aussi, pensée pour les jeans Cimarron de nos années lycée.

Le problème : ce confort se paye cher. L’élasthanne est néfaste pour l’environnement à chaque étape de son cycle de vie.

  • En tant que fibre synthétique composée à “au moins 85% de polyuréthane segmentaire, une molécule non biodégradable dérivée du pétrole”*, sa fabrication dépend de l’extraction d’énergies fossiles et son procédé de transformation implique des procédés chimiques dangereux pour la santé et l’environnement.
  • Une fois qu’il se retrouve dans nos vêtements, l’élasthanne relâche des microparticules de plastique lors de ses passages en machine : celles-ci ne peuvent pas être correctement filtrées par les stations d’épuration et finissent dans les océans, où elles polluent les écosystèmes marins.
  • Lorsqu’il est en fin de vie, le recyclage de l’élasthanne est complexe car il est souvent mélangé à d’autres fibres dont il est difficile de le séparer. Dans le cas d'un jean stretch, même 1% stretch sera complètement maillé dans les 99% de coton, rendant 100% du tissu non biodégradable et non recyclable.
  • Quant à sa décomposition, elle prend des centaines d’années et entraîne la libération de produits chimiques toxiques.
On vous a dressé un tableau assez synthétique (sans mauvais jeu de mots) mais vous l’avez compris, on a impérativement besoin d’alternatives à l’élasthanne. Et c'est d'autant plus urgent que sa demande ne fait qu’augmenter au niveau mondial  #zonedeconfort.

#2 Du coup c’est quoi la solution pour ne plus utiliser d’élasthanne dans les jeans ? 

Nous ne sommes pas les premières (et heureusement) à s’inquiéter des problèmes de l’élasthanne et plusieurs pistes sont testées au niveau mondial pour trouver des alternatives plus clean. On a de la chance que notre partenaire denim en Italie, celui qui tisse déjà notre toile Brenda, fasse justement partie des rares pionniers sur ce sujet d’innovation technique et écologique. Et c’est en observant un saucisson (pardon nos ami.e.s vegans mais c’est pour la bonne cause) suspendu dans un filet élastique en caoutchouc naturel que son fondateur, a eu l’idée géniale d'inventer du denim stretch d’origine végétale. 

4 ans de R&D plus tard, il brevète une innovation baptisée Coreva™ : la toute première technologie stretch d’origine naturelle 100% biodégradable et compostable au monde. Le fil stretch Coreva™ est fabriqué à partir de coton biologique enroulé autour d’un noyau de gomme naturelle certifiée GOTS, elle-même extraite d'arbres présents en Thaïlande et en Malaisie. Son processus de fabrication utilise de l’énergie 100% renouvelable et n’implique aucun composant chimique dangereux pour l’environnement ou pour la santé. Une fois fabriquée, la toile de denim stretch Coreva™ a les mêmes propriétés élastiques que l’élasthanne mais ne contient aucune matière plastique et surtout, elle est 100% biodégradable et compostable. Les tests réalisés par notre partenaire ** montrent que le denim stretch Coreva ™ se décompose en moins de 6 mois sans rejeter de matière toxique, de plastiques ou microplastiques et le compost qu’il génère présente des effets fertilisants pour les sols. Il s’agit donc d’une innovation pensée sur tout le cycle de vie de la fibre, de manière circulaire. 

Depuis le lancement de Patine en 2017, nous faisons une analyse de cycle de vie de chacun de nos vêtements : nous estimons les volumes d'eau, le niveau de pollution d'eau (eutrophisation) et les émissions carbone émis par notre vêtement et le comparons à un vêtement standard du marché. Pour ce jean tout nouveau il n'est pas encore possible de les calculer : les bases de données de calcul d’impact n’intègrent pas encore le Coreva ™. Nous sommes cependant très optimistes, car une fois le Coreva ™ acheminé en Italie, tout le procédé de filage et tissage est local, avec des technologies peu gourmandes en teintures chimiques et eau. Nous sommes fières d’accompagner le développement de cette innovation majeure dans notre secteur.

#3 C’est génial cette innovation, pourquoi tout le monde ne l’utilise pas ? 

1. La courbe d'innovation :

Comme dans chaque cycle d’une innovation, il y a une première phase dans laquelle seulement quelques personnes s’y intéressent avant qu’elle ne soit adoptée par plus de monde. C’est la phase dans laquelle on se situe actuellement et chez Patine, on est très fières de faire partie des “early adopters”. Notre partenaire denim a sélectionné les quelques marques avec lesquelles il voulait développer cette innovation pour plusieurs raisons : premièrement, la gomme naturelle utilisée pour fabriquer le stretch est disponible en quantités limitées et il ne s’agit évidemment pas de piller et surexploiter les ressources naturelles, il faut donc accepter de produire en quantités limitées, et prendre le temps de créer une filière d'approvisionnement propre .

2. Assumer la lenteur, et assumer le coût :

Ensuite, le développement de cette innovation est très coûteux et long, il faut donc pouvoir assumer ces paramètres. Chez Patine, prendre le temps pour développer les meilleures matières fait partie de notre ADN. De plus, c’est parce que nous limitons nos dépenses en communication, que nous vendons en direct et que nous nous appuyons sur le système des précommandes que les coûts lié à l’innovation et au temps de développement ne se répercutent pas d'autant sur le prix final de nos produits qui restent accessibles relativement à la qualité proposée.

3. Une solution créative parmi d'autres :

Nous pensons que c’est un ensemble de solutions innovantes qui permettra de remplacer les fibres synthétiques, pas seulement cette innovation de notre partenaire (et comme on vous le disait, ça n’aurait de toute façon aucun sens de sur-exploiter une ressource naturelle limitée pour en remplacer une autre). Aujourd’hui, on vous propose donc cette innovation chez Patine et on souhaite bien entendu que d’autres se développent et soient proposées par d’autres marques !

#3bis Peut-on complètement éviter l'élasthanne synthétique ? 

Dans une matière non stretch, pas de problème. C'est le cas par exemple de la maille de tee-shirt Willie, ou de la toile denim Brenda. Une solution est aussi de s'approvisionner en élasthanne recyclée de qualité, et européenne. C'est vers cette solution qu'on s'achemine pour notre future petite ligne d'underwear. Enfin, il commence à apparaitre des solutions pour recycler des matières mélangées. Mais le recyclage ne résoudra pas la crise environnementale si on n'arrête pas de surproduire. Moins et mieux, toujours !

#4 Revenons à Donna : une fois la toile Coreva™ fabriquée, quelles sont les étapes pour arriver au produit final ? 

  • Une fois que notre partenaire italien a tissé la toile vient l’étape de la teinture. Comme pour nos jeans Brenda, on travaille avec des teintures qui ne relâchent pas de matières toxiques via un procédé de vaporisation en surface. Le pigment utilisé est lui aussi innovant puisqu’il reste en surface du fil, ce qui fait que moins d’eau et d’énergie sont utilisés durant la fabrication. 
  • Concernant la coupe, on avait une idée précise, s'agissant d'un jean complémentaire à nos jeans Brenda non stretch :
    • Un jean ajusté sans asphyxier, qui allonge les jambes, qui évite l’écueil de l’effet saucisson (décidément) et surtout qui évite la cheville compressée.
    • Un jean que mêmes celles qui détestent les jeans stretch aimeraient
    • Beaucoup d’entre vous ont pu tester les différents prototypes de Donna lors de leurs essayages privés au Studio et nous aider à l'améliorer pendant 12 mois, merci ! 
    • Autre défi : cette toile ne pouvait pas être délavée à l’ozone mais après plusieurs tests, on a réussi à le faire et c’est tant mieux parce que ce processus est moins gourmand en eau qu’un délavage classique et il ne présente pas de dangers pour celles et ceux qui le réalisent.
    • On vous parle d’innovation depuis tout à l’heure et on ne voudrait surtout pas vous laisser penser que vous allez être des cobayes ou qu'on a mis la qualité de côté : avant de confirmer le lancement de Donna, nous avons réalisé en laboratoire plusieurs tests de durabilité. Nous avons simulé un vieillissement de 2 ans d’utilisation et obtenu 0% de vrillage. Pendant les 18 mois qu’on a pris pour développer Donna, notre partenaire italien a lui aussi pu améliorer la qualité et la stabilité de la toile et nous avons pu l’accompagner dans tous ces développements.

    #5 On peut voir la version finale de Donna ? 

    Juste ici :) 

    #6 Ça valait le coup de passer 18 mois dessus !

    Absolument. On a des papillons dans le ventre comme à chaque nouveau lancement mais c’est vrai que celui-là est particulier ! On vous a raconté beaucoup de choses mais on vous a aussi épargné quelques rebondissements du type crise mondiale du denim en septembre dernier, atelier à l’arrêt à cause de la crise sanitaire etc, explosion du prix des matières premières... Mais oui, ça valait le coup ! Le développement ne s’arrête jamais et ce qu’on prévoit maintenant  c’est de faire nous même l'expérience de biodégradabilité et compostabilité de la toile : on va planter Donna (on va bien sûr retirer les parties métalliques avant)


    #6bis “Planter Donna” ? Dis-donc Patine, on n’a même pas encore porté notre jean que tu l’enterres déjà ? 

    Oui c’est vrai que dit comme ça “planter Donna” c’est pas joyeux. Alors que si ! Ça veut dire qu’on pense à tout le cycle de vie de notre produit : on veut qu’il dure dans les placards mais pas dans les sols ou les océans. On ne peut pas réfléchir autant en amont sur les meilleurs arbitrages à faire en termes d’extraction des matières premières, des énergies utilisées pour la confection etc. pour ensuite ne pas se préoccuper de ce que le vêtement va devenir. Bien sûr on aimerait que nos vêtements durent toute la vie mais on sait que c’est plus compliqué que ça et on est responsable de penser à la suite : que ce soit la réparabilité, la recyclabilité ou l’upcycling. Avec Donna, on a la chance de pouvoir envisager une nouvelle brique de la circularité avec les questions de biodégradabilité et de compostabilité donc on veut l’explorer à fond :)  

    #7 J’ai une autre question

    “Est-ce qu’il fait de belles fesses ?” La réponse est oui. 

     KISS KISS

     source : le sérieux et très complet site Wedressfair

    ** Tests réalisés à Innovhub en suivant les critères de la norme EU Standard EN 13432